Depuis une bonne décennie maintenant, nombre de développeurs se sont essayés à reproduire dans leurs jeux l’esprit de la période 16-bits, chérie des joueurs, avec plus ou moins de réussite. Lorsque débute le développement d’Eastward en 2015, ce sont les sagas Mother et The Legend of Zelda qui servent de source d’inspiration au jeune studio de Shanghai Pixpil. Mais au-delà de cet héritage, Eastward s’impose tout simplement comme une vraie pépite du jeu d’action-aventure 2D.
Dans un monde en proie à la menace du Miasme, une étrange substance toxique, John le mineur et l’espiègle Sam vivent à Île Cocotte, l’un des derniers refuges souterrains de l’humanité. Très vite, ils comprennent que l’existence à la surface n’est peut-être pas celle qu’on leur a décrite. Ils se lancent alors dans un long périple en direction de l’Est, où résideraient bien des réponses à leurs questions.
Il était une fois dans l’Est
Dès les premiers instants, le titre parvient à captiver l’intérêt du joueur en lui présentant un univers singulier et chargé de mystères. Entourant Sam et l’origine même du monde d’Eastward, ces derniers se dévoilent progressivement tout au long de l’aventure, de sorte à préserver de manière constante cet intérêt. Si l’on excepte quelques longueurs en milieu de parcours, le joueur ne voit vraiment pas passer les 20 à 25h nécessaires pour en atteindre le dénouement.
L’une des grandes forces du jeu tient à la galerie impressionnante de personnages rencontrés par John et Sam tout au long de leur voyage. Bien souvent délurés, ils se démarquent par un trait de caractère spécifique qui fait que, même s’ils n’ont que quelques répliques, on se souvient d’eux. Il se dégage du titre un ton franchement absurde, mais qui n’est pas sans se départir parfois d’une touche d’émotion ou de mélancolie, comme lorsque nos deux lurons quittent définitivement un lieu pour reprendre leur route vers l’Est. Les dialogues s’avèrent très variés d’autant qu’au fil de la progression, certains personnages bénéficient de nouvelles répliques. Pour appuyer ce ton décalé, on peut mentionner le cas du réfrigérateur (oui, oui) qui, avant de nous autoriser à sauvegarder notre partie, nous gratifie d’un commentaire tantôt cocasse, tantôt métaphysique. On peut saluer à ce titre l’excellente localisation française du jeu.
Outre les dialogues, cette cocasserie des personnages est également permise par leurs sprites, dont l’expressivité rappelle furieusement celle de l’ère 16-bit (Final Fantasy VI, Chrono Trigger, entre autres). Il faut bien cela pour pallier au mutisme de notre bourru de mineur, bien contrebalancé aussi il faut le dire par l’allégresse communicative de Sam, qui l’accompagne (presque) tout le temps.
Le Pixel Art au sommet
Bon. Mettons les pieds dans le plat : Eastward est l’un des plus beaux titres 2D auquel il m’ait été donné de jouer. Lorsque l’on compare avec les premiers screens en tout début de développement, on ne peut que constater l’ampleur du chemin parcouru par l’équipe de Pixpil. Les pixels sont magnifiés par un effet d’éclairage 3D qui n’est pas sans rappeler visuellement la formule HD-2D de Square-Enix (Octopath Traveler et prochainement Project Triangle Strategy), la profondeur de champ en moins. L’absence de celle-ci est compensée par une véritable orgie de détails qui fourmillent à l’écran. On se surprend à admirer les panoramas du jeu avec cette impression que pas un seul pixel ne reste statique. Le joueur en prend plein les mirettes.
Ce voyage vers l’Est est l’occasion pour les développeurs de proposer des environnements variés et colorés, qu’ils soient urbains, naturels ou plus caverneux. Certains se révèlent même franchement étonnants et confèrent au périple de John et Sam une approche mystérieuse et onirique. À cet égard, les dernières heures du jeu nous emmènent dans des abîmes insoupçonnées, liées aux dernières révélations du scénario.
La bande son concoctée par Joël Corelitz, à qui l’on doit notamment celles de The Unfinished Swan et de TumbleSeed (sans oublier sa participation à celle de Halo Infinite), est vraiment de très haute volée. Si on pourra regretter l’omniprésence de certains thèmes, ils n’en demeurent pas moins excellents, à mi-chemin entre les morceaux chiptune de Disasterpeace (FEZ) et la BO "mélancomique" d’Alec Holowka pour Night in the Woods.
Des ennemis à la poêle
Dans son game design, Eastward s’apparente à un Link to the Past ou un Secret of Mana, avec une alternance de villes et de "donjons", au sens générique du terme : des cavernes, mais également des forêts, des plaines etc. Même si l’aventure est rythmée dans son ensemble, le jeu n’échappe pas à l’écueil des nombreux allers-retours entre ces différents lieux même si, heureusement, des ellipses narratives nous en épargnent quelques-uns. Référence directe à la saga de l’Hylien : la santé des personnages, combinée, est représentée par des cœurs, sachant que l’obtention de quatre orbes permet l’augmentation de la vie max.
C’est donc dans ces donjons que le joueur sera confronté à des créatures de toutes sortes. Pour s’en défaire, John pourra maraver la tronche de ces nuisibles grâce à sa magnifique poêle à frire, sachant qu’appuyer longtemps sur la touche permet d’augmenter la puissance du coup. Il a également à sa disposition des armes qu’il s’est procurées au cours de son périple (fusil à pompe, lance-flammes…), que l’on peut intervertir facilement, ainsi que des bombes. Si des munitions peuvent être dénichées sur la route, le joueur pourra à partir du chapitre 3 solliciter un approvisionnement d’urgence, moyennant le remplissage d’une jauge avec le temps. Mais notre bougon n’est pas le seul à tâter de la bêbête. On pourra aisément switcher sur Sam qui, grâce à son rayon, givrera les ennemis pendant quelques secondes. Au joueur de reprendre de nouveau le contrôle de John pour les achever proprement. Par la suite, Sam acquerra des pouvoirs plus intéressants, tels que celui de guérison.
Si l’affrontement des mobs consiste plus ou moins à tabasser et esquiver, les boss présentent un plus grand intérêt, avec des patterns variés, qui font souvent appel à l’ensemble des actions disponibles, notamment les pouvoirs de Sam.
Cuisine et dépendances
Si le gameplay s’avère plutôt fun et accessible, c’est surtout dans la façon dont il s’imbrique dans le level design qu’Eastward touche à l’excellence. Les donjons traversés par le joueur gagnent en complexité à mesure que John récupère des armes et ou que Sam apprend de nouveaux pouvoirs. Les puzzles exploitent donc l’ensemble du gameplay du jeu, avec des caisses à déplacer pour se frayer un chemin, des parcours à résoudre dans un temps imparti, des interrupteurs à activer grâce aux bombes de John ou au rayon de Sam…
Contrairement à Secret of Mana, le personnage non contrôlé ne fait que nous talonner mais il est possible de faire en sorte qu’il reste à un endroit spécifique (à tout hasard, sur un mécanisme), afin de résoudre une énigme. Certains passages contraignent même nos deux bourlingueurs à se séparer. Il faut alors permuter entre John et Sam, l’idée étant que l’un ne peut pas progresser sans l’autre. En somme, sans être foncièrement difficiles, les puzzles du jeu se renouvellent suffisamment pour proposer un peu de challenge aux joueurs.
Parmi les objets glanés en cours de route, le joueur sera susceptible de trouver des ingrédients, qu’il peut également se procurer dans les magasins en ville. Ceux-ci servent à confectionner de sympathiques petits plats en se rendant près d’une table de cuisson. Le joueur doit alors s’essayer à plusieurs combinaisons d’ingrédients (viandes, fruits, lait etc.) pour découvrir de nouvelles recettes. Comme dans un Tales of, ces plats, consommables n’importe quand, permettent de récupérer de la santé et de s’octroyer quelques bonus (munitions à gogo, défense accrue etc.) pour un temps limité.
East…ward… on va jouer ?
Dans les donjons, le joueur aura l’opportunité de dénicher des unités de sel (la monnaie du jeu) mais également des pièces détachées, ces dernières étant souvent dissimulées dans des passages secrets, qui n’apparaissent pas dans le map. Petite astuce : se procurer très vite le détecteur, qui bip à chaque fois qu’un coffre se trouve à proximité. Ces pièces détachées servent à l’amélioration des armes et des bombes (munitions et dégâts) ainsi qu’à l’augmentation de la capacité du sac de John et donc du nombre de casse-dalle maximum à emporter pour la route.
Eastward ne propose pas énormément d’à-côtés susceptibles d’accroître la durée de vie du jeu, mais quelques petites quêtes annexes sont malgré tout disséminés, principalement dans les chapitres consacrés à Barrageville. Les récompenses sont anecdotiques, l’intérêt résidant surtout dans les interactions avec les personnages à qui l’on vient en aide.
S’il est UNE quête annexe susceptible d’être mentionnée, c’est bien celle consacrée à Earthborn, véritable jeu dans le jeu qui, comme le signalait Plume dans sa preview, renvoie aux tout premiers Dragon Quest. Disponible à partir d’une borne d'arcade, Earthborn nout met dans la peau du chevalier Lafusée qui doit se constituer une équipe avant la fin des sept jours impartis en vue d’affronter le roi-démon qui terrorise son monde. Tout rappelle les épisodes NES de la série de Yuji Horii, le système de combat, son approche visuelle et jusque dans le box art fictif du jeu. Plus intéressant encore, Earthborn est régulièrement mentionné tout au long de l’aventure principale (celle de John et Sam), comme une sorte de mise en abîme subtile sur la façon dont les jeux vidéo peuvent impacter nos vies.